De friches à quartiers : des défis juridiques transformés en opportunités de développement

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Une quête : décortiquer le labyrinthe légal entourant la conversion d’un ancien site industriel en quartier urbain.
Une méthode : consulter des documents légaux et entrer en conversation avec Michael Caracciolo, juriste chez AGORA, et Yves Biwer, directeur-coordinateur du projet de quartier urbain Metzeschmelz. « Le cadre légal existant doit être pris en compte dès le début de la planification urbaine, résument-ils. Ses contraintes, au sujet desquelles nous dialoguons avec les ministères, nous mènent parfois à de belles innovations ! »

Des règles encadrant le processus d’assainissement des sites industriels jusqu’aux exigences de préservation patrimoniale, en passant par les négociations foncières, l’obtention de nombreux permis et les contraintes environnementales, l’appareil légal couvre large et a un impact fondamental sur chaque aspect d’un grand projet urbain. La clé du succès réside dans une expertise juridique pointue, permettant de naviguer à travers ces multiples exigences pour transformer les friches industrielles en quartiers viables et harmonieux.

Yves Biwer illustre cette nécessité par un exemple concret : « Dans le contexte d’une déconstruction, il ne s’agit pas seulement de la sécurité et des méthodologies. Prenons un hall à démolir : s’il abrite un hibou protégé par la loi sur la nature, nous devons mettre en place des mesures de compensation appropriées avant l’exécution des travaux. Également, nous ne pouvons travailler que pendant des périodes spécifiques pour ne pas perturber la faune. »

La transformation d’une friche en quartier résidentiel exige une planification minutieuse et une gestion précise des dossiers d’autorisation. « Il faut être patient et très précis dans ce que nous faisons pour éviter que la procédure ne soit bloquée ou ne redémarre en raison d’une erreur procédurale », ajoute Yves Biwer.

En tout premier, le respect du patrimoine

Le patrimoine industriel, c’est du sérieux. Si AGORA a fait de sa mission de préserver des éléments des anciennes usines, le gouvernement luxembourgeois y tient, lui aussi, fermement. Consultons l’arrêté ministériel du 24 mars 2023, portant classement comme patrimoine culturel national des immeubles et éléments du site industriel Metzeschmelz.

On peut y lire :

« Sont classés comme patrimoine culturel national les immeubles et éléments du site Metzeschmelz repris sur les parties graphiques jointes (ndlr voir le graphique ci-bas), inscrits au cadastre de la commune d’Esch-sur-Alzette. […] Les effets juridiques liés au statut de classement comme patrimoine culturel national sont ceux énumérés aux articles 30 à 40 de la loi du 25 février 2022 relative au patrimoine culturel. »

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Ce que ça veut dire ? En consultant ladite loi du 25 février 2022, on comprend que les éléments classés « ne peuvent être l’objet d’un travail de réparation, de restauration ou de modification quelconque, autres que l’entretien, sans une autorisation écrite du ministre». Et que, pour favoriser cet entretien, « le ministre peut mettre en demeure le propriétaire de faire procéder aux travaux ». Entre autres choses.

Un cadre règlementaire pour l’assainissement et la déconstruction

Simultanément à la prise en compte de la conservation patrimoniale se dessinent les plans  d’assainissement du site. « C’est une opération complexe qui s’accompagne d’une législation stricte, car il en va de la santé et de la sécurité des futurs résidents, explique le juriste Michael Caracciolo. Mais on a la chance que le projet Metzeschmelz ait été désigné comme projet pilote pour participer à l’évolution du cadre réglementaire en vigueur en vue d’une harmonisation aux nouvelles techniques d’assainissement qui se développent aujourd’hui. Parfois, dans un contexte d’innovation, les législations peuvent être un peu plus souples ! 

Les règlementations environnementales

« La législation luxembourgeoise est très protectrice en matière de biotopes, ce qui implique des compensations écologiques en cas de perturbation des habitats naturels, lesquelles se définissent dans des conventions respectant des normes juridiques strictes », précise Caracciolo. Son collègue Yves Biwer poursuit : « Toute construction ou aménagement doit aussi respecter des normes environnementales strictes. Chez AGORA, comme notre mission est de développer des quartiers durables, on s’y prête bien volontiers. Mais la complexité des lois environnementales s’est accrue au cours des 20 dernières années, ce qui nous incite à donner des retours d’expérience aux législateurs pour favoriser la simplification de certaines procédures et autorisations. »

En effet, par son action, AGORA met en évidence les limites, l’obsolescence, voire l’inapplicabilité de certains dispositifs règlementaires et accompagne, avec l’accord préalable des autorités, l’évolution du cadre légal applicable. »

Encore et toujours la sécurité

Que ce soit lors des étapes de construction ou lors d’événements publics organisés sur le site, les lois et règlements visant à assurer la sécurité sont nombreux et stricts (à juste titre). « Non seulement cet appareil légal doit être rigoureusement respecté, souligne Michael Caracciolo, mais un haut niveau de protection est prévu d’un point de vue contractuel, et les règles d’assurance sont également très strictes, avec des clauses exonératoires de responsabilité très amples, afin de garantir qu’AGORA opère dans un cadre sécurisé et conforme aux normes. »

Les défis urbanistiques

Après avoir traité les aspects environnementaux et patrimoniaux, vient l’application des règles d’urbanisme. Pour illustrer concrètement cet aspect, Michael Caracciolo déplie sur son bureau quelques pages du PAG (Plan d’Aménagement Général) et du PAP (Plan d’Aménagement Particulier) de Metzeschmelz, qui intègrent les règles devant être respectées pour ancrer le site dans son environnement. On y précise notamment les fonctions attribuables aux immeubles qui s’implanteront dans chacune des zones du futur quartier.

Un exemple ? La zone d’habitation 1 « est exclusivement réservée aux affectations suivantes, pour autant que leur nature, leur aspect, leur volume, leur importance et leur émission soient compatibles avec la sécurité, la salubrité, la commodité et la tranquillité d’un quartier d’habitation : les maisons unifamiliales ; le commerce de proximité, avec une surface de vente limitée à 500 m² par immeuble bâti ; les restaurants et débits à boisson. »

Ces contraintes juridiques sont souvent pour AGORA des occasions de défis et d’innovation bien plus que des casse-têtes paralysant l’avancement des projets. « C’est intéressant pour nous de s’inscrire dans le cadre règlementaire tout en osant imaginer son possible assouplissement, conclut Yves Biwer. Les technologies que nous essayons d’implanter dans nos quartiers sont parfois plus avancées, et de fait, incompatibles avec les réglementations en place. Notre rôle est aussi de tester ces innovations dans un cadre réglementaire pour faciliter les démarches administratives. »

Entre contrainte et créativité, le cheminement juridique de la transformation des friches est une aventure passionnante. Notre enquête le confirme.

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