Le Pavillon Source Bel-Val : comme si l’eau de source pouvait parler

Objet architectural et installation immersive, le Pavillon Source Bel-Val nous plonge dans un récit imaginaire, mais tiré d’une histoire vraie. Ce pavillon est l’une des étapes du parcours artistique « loop », un projet de la Commune de Sanem pour Esch2022. Il raconte, via un dispositif qui allie notamment le son et la réalité augmentée, la présence de l’eau de source à Belval. Rencontre avec Laura Mannelli, qui a conçu cette œuvre en collaboration avec les architectes de BeBunch et avec le soutien d’AGORA.

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Ce sera une place publique, un lieu de passage, un pavillon où s’arrêter pour un moment de repos et de contemplation. Tout en courbes, l’ouvrage évoque de ses formes voluptueuses l’importance de l’eau dans l’histoire de Belval et rappelle l’époque où la source Bel-Val était à la fois poumon économique et synonyme de bien-être collectif.

Au-delà du plaisir de s’y retrouver pour un moment de détente, les passants y découvriront une œuvre soutenue par AGORA et pensée par une artiste singulière, dont la pratique se situe au croisement des arts plastiques, de la réalité virtuelle, des jeux vidéo et de l’architecture. Laura Mannelli crée, avec ce projet, l’un de ses travaux les plus ambitieux. Elle nous raconte.

Vous avez une formation d’architecte mais une pratique artistique hybride qui combine l’architecture et le numérique. Pouvez-vous nous en dire plus?

Laura Mannelli : Je me suis très vite écartée d’une pratique traditionnelle de l’architecture pour m’intéresser à la création immersive, à l’architecture radicale des années 60 et aux endroits où l’architecture intervient dans ce qu’on pourrait appeler les « espaces non-construits ». Pour moi, l’architecture ne se réduit pas aux espaces que l’on fabrique avec des murs : il y a infiniment d’autres façons de faire de l’architecture, à travers l’immatériel et via des conceptions plus larges de la notion d’espace. Le numérique s’est évidemment imposé très vite dans ma pratique ; dès 2007, j’ai développé une création immersive dans le métavers Second Life, l’un des univers virtuel les plus connus. Mais, peu à peu, j’ai voulu créer des projets qui combinent les réalités virtuelles et le bâti. Comment faire en sorte que des œuvres architecturales puissent passer du réel au virtuel ? C’est une question qui a longtemps été au cœur de ma pratique. Le projet de Pavillon Source Bel-Val me permet d’y répondre avec des moyens inespérés et me donne l’opportunité, de réfléchir, pour la première fois, l’espace immersif dans le cadre d’un projet d’architecture.

Pour un projet numérique installatif de ce genre, les dimensions du pavillon posent-elles un défi particulier ?

Certes, mais elles m’ont surtout profondément enthousiasmées. Pour une artiste comme moi, l’opportunité de travailler sur une installation de 1000 mètres carrés ne se présente pas souvent, et c’est carrément génial de pouvoir s’y lancer ! Ce projet combine l’ingénierie d’une installation numérique à la complexité de l’ingénierie civile, avec une infinité de câbles numériques qui passent sous le pavillon et s’imbriquent fondamentalement à la structure architecturale même. J’ai tout de suite vu le potentiel de transformer le pavillon en une sorte de boîte à musique, un archipel magique dont l’espace-temps est une cosmogonie. Dans cette œuvre, c’est la source qui nous raconte son histoire à travers le pavillon, qui lui, devient l’orateur. Les gens activeront ces narrations visuelles et sonores de différentes façons, en suivant des indications signalétiques à leur rythme, pour plonger peu à peu dans une fable que j’ai voulue tout à la fois reflet de l’histoire réelle de la source de Bel-Val et récit ancré dans les questions environnementales actuelles, sans se priver de créer un univers de conte magique qui embrayera l’imaginaire et la rêverie.

Qu’est-ce qui vous a fasciné dans l’histoire de la source de Bel-Val ?

Ma famille a vécu tout près, et, pourtant, j’ignorais absolument tout de l’existence de cette source avant d’être sollicitée pour ce projet.

J’étais surprise et me suis sentie bien ignorante, mais, ce sentiment a rapidement été remplacé par une curiosité débordante à l’égard de l’histoire de la source et par une soif de la raconter à d’autres. Il y a un caractère magique à cette eau de source, que les citoyens du siècle dernier voyaient vraiment comme un remède miraculeux à de nombreux maux. Puis, l’industrie sidérurgique a relégué la source au second plan – mais mes lectures des archives m’ont convaincu qu’il ne fallait pas voir en cette époque une négation absolue de l’eau de la source Bel-Val. Je tente d’éviter toute vision binaire des choses et de raconter de manière circulaire l’histoire de cette eau qui n’a jamais cessé de parcourir ce territoire et qui vibre toujours, aujourd’hui, sous cette terre. Ma démarche narrative est un peu de donner une voix à l’eau : c’est elle qui parle et qui nous raconte. Et, de ce point de vue, l’eau n’a jamais été annihilée, elle suit son cours depuis des siècles et tente de continuer sa route. D’ailleurs, des structures métalliques du pavillon évoquent l’industrie de la sidérurgie et entrent en dialogue avec l’histoire de la source.

Cette voix est donc le point focal de votre travail de création sonore. Pouvez-vous nous expliquer comment cela se déploie concrètement ?

Je m’inspire beaucoup des théories de Vinciane Despret, qui explique, en utilisant l’exemple du chant des oiseaux, comment le son a une vraie épaisseur matérielle et physique. Je peux aussi citer Donna Haraway, et Salomé Voegelin dans mes inspirations. Dans le projet du pavillon Bel-Val, la source est considérée comme un organisme vivant et intelligent. Ainsi, je déploie sur toute la surface du pavillon une toile sonore invisible, mais qui se matérialise à travers le mouvement de ceux qui en suivent la piste. Tout le pavillon est truffé de sources sonores, sous les planchers et dans les murs, lesquels font entendre peu à peu le trajet de l’eau, le processus d’embouteillage de l’eau de source ou les voix de femmes au travail. La voix de cette source est incarnée par la comédienne Catherine Elsen.

Dans quelle mesure l’œuvre déplie-t-elle aussi un discours écologiste, ancré dans l’urgence climatique actuelle ?

Le projet s’est naturellement tourné vers l’éco féminisme – mes recherches dans les archives m’ont notamment permis de découvrir que l’usine de traitement des eaux employait majoritairement des femmes. Ce déploiement sonore reproduit aussi en quelque sorte, dans sa structure, les cycles de l’eau et des saisons, tentant de reconnecter l’humain à une nature qu’il a beaucoup négligée et avec laquelle il a perdu son lien ancestral. À ce dispositif s’ajoute du visuel en réalité augmentée, qui fait apparaître des personnages intriguants, notamment une certaine dame en blanc… Il s’agit de faire voir des réminiscences du passé, à taille réelle, et de dialoguer avec les humains qui ont connu l’importance de cette ressource naturelle et qui, indirectement, nous rappellent l’urgence d’y poser notre regard à nouveau.

Avec le soutien d’AGORA dans le cadre de Esch 2022, cette œuvre ramène la source minérale de Bel-Val au cœur des préoccupations du temps présent.

Ce projet n’aurait pas pu voir le jour sans la collaboration des architectes de BeBunch, de Frederick Thompson pour le design immersif des réalités augmentées, du compositeur Damiano Picci, de la comédienne Catherine Elsen qui incarne la voix de la source, sans oublier l’implémentation de technologie sonore immersive par Mad Trix.

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