Renforcer la capacité des villes à survivre, à s’adapter et à prospérer face aux défis du XXIe siècle. Voilà la définition de la notion de « résilience urbaine », devenue clé de voûte de la conception de nouveaux quartiers dans un contexte de transition climatique. Décryptage et mise en relief avec des exemples tirés de Belval et de Metzeschmelz par Zahira Malyani, Urbaniste Chef de Projet chez AGORA, et Panos Mantziaras, Directeur de la Fondation Braillard Architectes.
À partir de vos expériences respectives, comment définiriez-vous ce qui constitue une architecture et un urbanisme résilients face aux changements climatiques ?
Zahira Malyani, Urbaniste Chef de Projet chez AGORA : « La résilience urbaine consiste à se préparer aux changements climatiques en tentant de rendre le territoire plus fort, ou davantage en phase avec un environnement en transformation perpétuelle. Ces changements, déjà en cours, causeront de futures crises et des conséquences multiples, parfois imprévisibles. Pour les affronter, le processus peut être très long. À vrai dire, la résilience urbaine est une notion difficile à définir en termes universels, tant les enjeux et les solutions à inventer sont propres à chaque localité, à chaque territoire. C’est un concept qui implique aussi une élasticité, une capacité à rebondir, à redessiner souvent le quartier, et les structures urbanistiques et architecturales implantées doivent le permettre. Elles doivent avoir été pensées pour se modeler à cette élasticité. »
Panos Mantziaras, Directeur de la Fondation Braillard Architectes : « Si on applique le concept à quelque chose de concret, par exemple le choix d’un matériau pour une nouvelle construction architecturale, on verra la “résilience” comme une capacité accentuée de ce matériau à résister et à s’adapter, sur un temps très long. À une échelle plus vaste, il s’agit d’inventer une ville qui multipliera ces choix pour résister plus longtemps et pour s’adapter continuellement. Mais ce sera aussi une ville que les femmes et les hommes habiteront différemment, en adoptant des comportements qui favorisent cette résilience.
Le Luxembourg a choisi de faire de la résilience urbaine une priorité, notamment lors de la grande consultation “Luxembourg In Transition” à laquelle j’ai eu la chance de contribuer en tant que directeur scientifique. Les deux grands objectifs que le Grand-Duché doit atteindre en parallèle est la décarbonation ou “atténuation” et la résilience ou “l’adaptation”. »
Pour guider le pays et la Région Sud vers ces objectifs, à quel cadre de référence peut-on se raccrocher ? Des ouvrages ? Des méthodes ? Que dit la littérature scientifique et comment s’en saisir dans la réalité de nos quartiers ?
Zahira Malyani : « C’est un concept récent, qui se définit beaucoup à travers la pratique et le vécu. Pour ma part, je me nourris donc beaucoup d’études de cas et de comparaisons entre les initiatives de différentes villes dans le monde, au sujet desquelles je me documente grâce aux ressources mises à disposition par le Réseau des 100 villes résilientes (Resilient Cities Network)1. Beaucoup de villes américaines ont été pionnières, mais de plus en plus de villes européennes sont citées en exemple, comme Paris et Genève. Le Sud du Luxembourg partage avec plusieurs de ces villes des réalités telles que les sols pollués, les risques d’inondations, ou le retrait-gonflement des argiles2. »
Panos Mantziaras : « La littérature scientifique sur le sujet est surtout américaine. On peut citer, entre autres, le livre Form and Flow: The Spatial Politics of Urban Resilience and Climate Justice (2021)3, qui rappelle tout de même que cette pensée se développe depuis les années 1970. Mais, comme le dit Zahira, la résilience urbaine est difficile à décrire. Elle a à faire avec la température d’un coin de rue, l’humidité d’une place publique, la capacité d’une personne âgée à traverser une intersection avec ses sacs de supermarché en évitant un coup de chaleur en pleine canicule… Je pense que les décideurs politiques, quand ils réfléchissent à la résilience urbaine, doivent garder en tête son caractère ultra-local et focaliser au maximum leurs actions de manière concrète dans l’espace urbain. »
Pour être plus résilients, quels sont les principaux défis auxquels les quartiers Belval et Metzeschmelz doivent répondre ?
Quels éléments du territoire ou du paysage posent davantage problème ?
Zahira Malyani : « Il ya bien sûr la question de l’assainissement des anciennes terres industrielles. Le processus a été réalisé à Belval aux débuts du développement du quartier, et nous devons procéder aujourd’hui à cette opération à Metzeschmelz, avec l’ambition d’un bilan carbone maîtrisé pour ce quartier. On utilisera de nouvelles méthodes d’assainissement, en pensant davantage en termes de résilience. Il y a aussi plusieurs éléments géographiques à considérer à Metzeschmelz, comme la présence d’un cours d’eau qui doit être valorisé tout en faisant face à des risques d’inondation. Il nous importera aussi de renforcer la topographie existante, qui se décline sur trois niveaux, mais qui pourrait poser des défis par rapport à la stabilité du sol, en relation avec différentes conditions climatiques. »
Panos Mantziaras : « De façon plus générale, nous savons que toute l’Europe traversera dans un futur proche des alternances de périodes de pluie et de sécheresse, de manière non régulière. On doit penser nos villes comme des lieux où l’on pourra facilement se mettre à l’abri de la pluie ou de la chaleur, par exemple en intégrant des dispositifs physiques extérieurs tels que des galeries couvertes (des arcades) comme celles que l’on voit dans plusieurs villes italiennes, particulièrement à Bologne et à Turin. Les solutions sont parfois très simples. Elles existent depuis longtemps et il faut les réhabiliter. »
Autrement dit, la résilience urbaine est une pratique de prise en compte et d’anticipation de différents risques environnementaux. Comment mesurer ces risques sur un territoire précis comme Metzeschmelz ?
Zahira Malyani : « On fait par exemple des études d’ensoleillement et on réalise des études climatiques pour comprendre comment le vent et le bruit risquent de se déplacer sur le site, en fonction de divers scénarios d’anticipation. Ça nous aide à planifier les différents aménagements, et, surtout, comme je le disais, à les penser pour qu’ils soient malléables et transformables en fonction de plusieurs réalités possibles. »
Panos Mantziaras : « L’une des clés, c’est de considérer vraiment chaque microclimat, et de penser l’espace en plus petites entités, dans le détail. Et je dirais qu’il faut arriver à faire des aménagements qui laissent vivre ces microclimats. Dans une ville résiliente, il faut des espaces pour le vent, il faut de la biodiversité, des mouches, des oiseaux, des hérissons, mais aussi des espaces conçus pour permettre à la population de se déplacer à pied – et il faut des aménagements dans lesquels ces fonctions et ces formes de vie continuent malgré les intempéries ou les variations climatiques. »
L’investissement dans des infrastructures durables est crucial pour faire advenir la résilience urbaine. Lesquelles seraient les plus pertinentes dans la région ?
Panos Mantziaras : « Si vous permettez, je vous donne une réponse sous forme de grand principe. Certes, nous pouvons adapter les infrastructures, les intégrer mieux à la nature environnante, les construire avec des matériaux plus durables. Mais je pense qu’on n’aura pas autre choix que de modérer les capacités de nos infrastructures, pour inciter nos concitoyens à changer leurs comportements et à les utiliser de manière plus sobre. C’est le principe d’anticipation. Je pense par exemple à des espaces de stationnement plus petits, réservés uniquement aux voitures électriques. C’est un exemple parmi d’autres. Mais il est important d’impliquer rapidement toutes les parties prenantes et notamment les citoyens, qui doivent être conscients de leur rôle primordial dans la transition écologique. »
Zahira Malyani : « Sur les sites déjà aménagés, comme Belval, il faut oser modifier la voirie et redessiner parfois les rues pour y favoriser le transport en commun et la mobilité douce. Le nouveau plan de mobilité de Belval, qui a comme point focal le nouveau tramway, en est un exemple. Il permettra aussi de végétaliser davantage les rues, ce qui permettra de réduire l’ensoleillement et la chaleur au sol, et de créer de nouveaux îlots de fraîcheur. En tout cas, ce qui est certain, c’est que ce futur est bien en marche. »
1 L’ONG 100 Resilient Cities (100RC) a été lancée en 2013 par la Fondation Rockefeller avec l’ambition d’aider les villes à faire face à trois grands défis et menaces: l’urbanisation croissante, la mondialisation et le changement climatique. On peut consulter son site web [ici].
2 Le retrait-gonflement des argiles désigne la capacité des sols argileux à gonfler lorsqu’ils absorbent de l’eau et à se rétracter lorsqu’ils sèchent.
3 GOH, Kian, Form and Flow: The Spatial Politics of Urban Resilience and Climate Justice (Urban and Industrial Environments), Paperback, 2021
Jardins urbains, Smart cities, éco quartiers ou occupation temporaire de l’espace urbain, la série « Tell me more ! » décortique les nouvelles tendances en donnant la parole à des experts.
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